Homélie 32ème Dimanche année A

Pour entrer dans l’intelligence de cette parabole incongrue il nous faut la resituer dans l’ensemble de l’Évangile de Matthieu et plus particulièrement dans les chapitres 24 à 26 de cet Évangile.

La parabole des dix jeunes filles, c’est la 19e des 21 paraboles que l’on trouve dans l’Évangile de Matthieu, et c’est la première des trois dernières paraboles qui visent à la mise en œuvre du royaume des cieux… ! Ce royaume des cieux est appelé également royaume de Dieu par les autres évangélistes. Matthieu utilise ce terme car dans la tradition juive on ne nomme pas Dieu ! Qu’est-ce donc que ce royaume de Dieu ou des cieux ? Dieu est amour nous dit Saint-Jean dans sa première lettre, ainsi donc pouvons-nous parler du royaume de l’amour. Le royaume des cieux c’est la plénitude de l’amour de Dieu. Dieu a créé toutes choses avec sagesse et par amour. Son amour peut envelopper toute chose, mais cela ne se fait pas à la force du poignet, Dieu ne veut pas s’imposer à l’homme, Dieu propose un partenariat, une alliance : les 10 jeunes filles sont invitées à des noces… !

L’Évangile de Matthieu a été surnommé l’Évangile du royaume, littéralement la bonne nouvelle du royaume ! Royaume : ce mot revient 49 fois et il y a au moins 12 paraboles qui le décrivent comme une réalité existante structurellement avec comme formule introductive : « le royaume des cieux est semblable à… » ou encore « il en va du royaume des cieux… » nous connaissons bien ces formules qui introduisent la parabole du semeur, celles de l’ivraie, du grain de sénevé, du levain, du Trésor et de la perle, du filet, de l’enfant auquel il faut ressembler. Et encore celles du débiteur impitoyable, des ouvriers de la dernière heure, des deux fils, des vignerons homicides, des invités au festin des noces. Il y a d’une part des paraboles positives sur le royaume et d’autre part des paraboles décrivant les résistances à l’avènement de ce royaume. Mais en soi on ne sent pas que le lecteur soit impliqué. Voyons la suite, car l’introduction de la parabole des 10 jeunes filles est vraiment différente !
Juste avant la parabole des dix jeunes filles, nous avons le chapitre 24, dans lequel Jésus tient des propos de fin du monde avec, la ruine de Jérusalem, le commencement des douleurs : conflits, famine, persécution, trahison, haine intestine. Il ajoute même et je cite la Bible de Jérusalem : « des faux prophètes surgiront nombreux et abuseront bien des gens. Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre. Mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout celui-là sera sauvé » et Jésus ajoute « cette bonne nouvelle du royaume sera proclamée dans le monde entier, c’est une annonce implicite de sa résurrection dont le témoignage se fera à la face des nations. Et alors viendra la fin. » La fin de quoi, la fin de Jérusalem dont Matthieu a dû être témoin en 70 lorsque les légions romaines ont tout rasé à Jérusalem. La suite de ce chapitre 24 évoque ce grand malheur et se termine avec trois petites paraboles : la parabole du figuier qui invite au discernement, l’exemple de Noé avec la parabole du voleur et la parabole du serviteur qui invitent à veiller.

Après la description de cette situation de crise au chapitre 24, nous arrivons au chapitre 25 qui commence par la parabole des 10 jeunes filles. Et là Jésus introduit cette parabole, ainsi que les deux suivantes, (la parabole des talents et la parabole du jugement dernier) de façon bien différente, je cite la Bible de Jérusalem : « alors, il en sera du royaume des cieux comme de 10 jeunes filles invitées à des noces qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux. » Le mot alors, et le futur il en sera, sont importants pour faire saisir au lecteur qu’il va devoir s’impliquer. En fait les noces auxquelles ces 10 jeunes filles sont invitées, ce sont les noces qui inaugurent l’alliance nouvelle et éternelle, alliance conclue entre Jésus et l’humanité à la croix. Parmi ces 10 jeunes filles cinq sont prévoyantes, elles ont fait provision d’huile, elles vont pouvoir attendre la pleine réalisation de l’alliance, symbolisée par la venue de l’époux. Et curieusement il n’y a pas d’épouse… l’épouse c’est nous ! Et il ne s’agit pas de veiller, vous avez remarqué que toutes les jeunes filles se sont endormies ! Il s’agit de tenir les lampes allumées et ainsi d’être prêts à rencontrer le Christ, l’époux, à tout moment, y compris dans la nuit, qui symbolise souvent dans la Bible les difficultés d’un monde livré au péché. Le Christ pourrions-nous dire tarde à venir, nous pourrions être tentés de désespérer, particulièrement en temps de crise, et nous y sommes… ! Il s’agit de tenir en tout temps notre lampe allumée… ! Alors, il en sera du royaume des cieux comme de chrétiens invités à vivre, avec une foi active, avec une charité qui se donne de la peine, avec une espérance qui tient bon en notre Seigneur Jésus-Christ… ! Souvenez-vous c’était il y a trois semaines dans la deuxième lecture de Paul aux Thessaloniciens. Foi, amour et espérance, voilà notre huile dont il faut faire provision en Jésus-Christ ! Lui Jésus est allé jusqu’au bout dans sa mission pour faire advenir le royaume. Ainsi, avec le chapitre 26 nous entrons dans la grande semaine de la passion de Jésus : arrêté, jugé, condamné, exécuté… ressuscité !

Frères et soeurs, nous sommes dans un moment d’obscurité et de crise, entre attentats et Covid, entre tension intérieure et tension internationale… ! Cette parabole des 10 jeunes filles invitées aux noces est la bienvenue pour qu’à notre tour nous nous sentions invités à renouveler notre alliance avec Dieu. Nous aussi nous sommes invités aux noces, aux noces de l’agneau. Et nous y sommes à chaque Eucharistie, chaque fois que nous ouvrons notre Bible, chaque fois que nous faisons silence pour prier, chaque fois que nous répondons à une sollicitation extérieure, à une bonne idée qui nous invite à rencontrer le voisin, pourquoi pas téléphoner à telle personne en difficulté, ou encore à partager largement. Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous l’avez fait ! Ce sera l’Évangile dans 15 jours pour la fête du Christ Roi. Dimanche prochain ce sera la parabole des talents, suite logique de la parabole des 10 jeunes filles… ! Nous sommes invités à porter du fruit, nous sommes invités à partager avec d’autres le meilleur de nous-mêmes. Voilà comment alors, il en sera du royaume… ! Les cinq jeunes filles prévoyantes ne pouvaient pas partager avec les cinq insouciantes, car l’huile de la foi, de la charité et de l’espérance en réserve demande un peu de prévision ! Et donc dès maintenant soyons prêts à rencontrer le Christ à tout moment dans le quotidien de nos journées, dans les événements X-Y, dans la lecture des Évangiles. Quels que soient nos doutes, en ces temps d’obscurité et de crise, cherchons fermement à accomplir la volonté du Christ, demandons l’éclairage de l’Esprit Saint, tenons nos lampes allumées ! Je termine avec une petite histoire que racontent les rabbins juifs lorsqu’ils commentent l’attente de la venue du Messie : au crépuscule le cri retentit, le Messie va venir, c’est pour cette nuit, tenez-vous prêts… ! Et tout le monde après avoir revêtu la plus belle tenue se tient prêt. À 22 heures personne, à zéro heure toujours personne et deux heures plus tard toujours rien. Et pourtant la bonne nouvelle de la venue est confirmée, à cinq heures du matin toujours personne ! Certains se sont endormis d’autres s’en sont allés, quant au petit matin, enfin il est là tout rayonnant mais tout essoufflé et il s’excuse d’arriver si tard : « pardonnez-moi d’avoir tardé mais en chemin sur la route j’ai rencontré un enfant qui pleurait et je me suis arrêté pour le consoler ! » Relisons le psaume de ce jour (62) psaume de confiance pour renouveler l’alliance : mon âme a soif de toi… ton amour vaut mieux que la vie… je vais te bénir… je serai rassasié… tu es venu à mon secours… Prière du croyant prévoyant… !

Père Bertrand