Mes sœurs et mes frères bien-aimés, les textes de ces derniers dimanches de l’année liturgique mettent l’accent sur l’attente de la venue du Seigneur. Dimanche dernier, dans la parabole des 10 vierges, il était question de rester vigilant dans l’attente de l’époux car on ne connait ni le jour, ni l’heure de son retour. Aujourd’hui, la 2ème lecture tirée de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens nous rappelle que « le jour du Seigneur viendra de nuit comme un voleur », c’est-à-dire sans prévenir. C’est pourquoi nous devons vivre dans une attitude de vigilance, selon l’enseignement de la parabole des talents relaté dans l’évangile que venons d’écouter.

On a souvent interprété cette parabole comme une invitation à développer ce que nous appelons nos talents, c’est-à-dire des aptitudes naturelles remarquables dont nous serions pourvus de manière exceptionnelle. Comprise dans ce sens, surtout dans le contexte de notre société capitaliste, la parabole des talents pourrait résonner comme un appel à la performance, à la compétitivité, à la rentabilité. De manière sournoise, nous pourrions croire que même avec Dieu, il s’agit d’être efficace et productif. Cela peut engendrer un orgueil satisfait chez les uns, une insatisfaction accablée chez certains et une résignation implacable chez les autres, telles que les personnes les plus fragiles qui se sentiraient en marge d’une société élitiste dont la devise serait la performance.

Il me semble que tel n’est pas le sens de cette parabole : ce qui intéresse Jésus dans l’évangile de ce jour ce ne sont pas nos belles capacités à réussir – bien entendu, il s’en réjouit !  Ce qui l’intéresse c’est plutôt de voir fructifier les dons spirituels qu’il nous a donnés. En effet, en parlant de talent, Jésus évoque une unité monétaire de la Grèce antique qui valait 35 kg d’or. Au cours actuel de l’or, le kilo d’or valant aujourd’hui environ 52000 euros, un seul talent fait un millionnaire en euros. Celui qui a reçu 5 talents dispose donc d’une jolie fortune. Et voilà qu’il entend la promesse de recevoir bien davantage, puisqu’il s’est montré fidèle « en peu de choses » ! C’est dire que la parabole souligne d’abord la générosité divine, la surabondance de ses dons. Vu dans ce sens, il n’y a pas lieu de considérer Dieu comme un maître redoutable qui récolte là où il n’a pas semé, mais plutôt comme un père  plein d’amour qui fait confiance et distribue ses dons avec une largesse incommensurable.

Pour répondre à cette prodigalité et à cette confiance de Dieu 3 attitudes sont requises de notre part: Premièrement, reconnaître et accueillir ses talents, c’est-à-dire les dons que Dieu nous a donnés et continue de nous donner, le plus grand don étant celui de la vie. En fait, la connaissance et l’estime de soi sont au cœur de toute croissance spirituelle et humaine. Beaucoup de blessures et souffrances de nos vies résultent d’une mésestime de soi. Reconnaître ses dons, c’est s’accueillir soi-même en osant se croire aimé par Dieu, en osant chanter avec le psalmiste « je te rends grâce, Seigneur, pour la merveille que je suis »! Deuxièmement, il faut faire fructifier ces dons. C’est la meilleure manière de répondre à la confiance que Dieu a placée en nous. Troisièmement, nous devons rendre grâce : « Seigneur, tu m’as donné 5, 2 talents, tu m’as donné la vie ; voilà je viens te rendre l’hommage de mon action de grâce». C’est cela « entrer dans la joie du maître », où ce n’est pas tant le bien ou le gain qui compte (deux ou cinq talents c’est « peu de choses » aux yeux du Maître),  mais ce qui compte c’est la qualité de notre relation avec le Seigneur.

Comme nous l’avons chanté au psaume 127 notre relation avec le Seigneur doit être une relation de crainte: « Heureux qui craint le Seigneur ! ». La crainte dont il s’agit n’est pas la peur, comme celle du serviteur paresseux  mais l’amour qui animait le serviteur fidèle. C’est parce qu’il aimait son maître et qu’il considérait les biens de son maître comme les siens propres, qu’il s’est investi à les fructifier.

La femme parfaite dont la première lecture fait l’éloge est peut-être la version féminine du serviteur fidèle… Cette femme parfaite, plus précieuse que toutes les perles, est magnifiée pour le  fruit de son travail. Le dernier verset de ce beau texte le dit si bien: « Célébrez-la [femme] pour les fruits de son travail : et qu’aux portes de la ville, ses œuvres [de cette femme]  disent sa louange ! » Il s’agit du portrait d’une femme que Dieu a remplie de sa sagesse et qui donne à son mari, à ses enfants et à toute sa maisonnée la seule chose dont Dieu rêve pour l’humanité, à savoir, le bonheur.

Vous les femmes, nos mères et nos sœurs, vous êtes mieux placées pour comprendre que le bonheur est toujours une œuvre d’engendrement. Or qui dit engendrement dit labeur, plaintes et contractions douloureuses. Vous les femmes, vous êtes et vous devriez toujours être des témoins de l’espérance pour notre monde désemparé. Comme au matin de Pâques, les femmes ont apporté un message d’espoir aux hommes paumés, aujourd’hui encore vous pouvez nous rappeler que les difficultés et les angoisses  du temps présent ne doivent pas nous plonger dans le désespoir. Bien au contraire, cette crise sanitaire, avec ses corollaires économiques et sociaux peuvent être une occasion de transformer les gémissements et les plaintes, les labeurs et les clameurs de notre monde en contractions qui puissent donner naissance à un monde nouveau, à une nouvelle façon de vivre dans l’amour, la solidarité, la compassion et l’attention aux autres, surtout aux plus fragiles d’entre nous. C’est là aussi, il me semble, une façon de fructifier nos talents, en puisant au fond de nous la forces de résister aux difficultés. Dieu nous a déjà tout donné. Tout, et le reste ! Qu’en avons-nous fait ?

Père Jean-Paul