Tout avait commencé par un salut. Salut, toi que le Seigneur favorise et accompagne ! Étonnant message d’un ange, passeur de Dieu. Cette salutation révèle à Marie que Dieu avait un penchant pour elle. Elle ne pouvait pas le savoir d’elle-même. Elle avait eu besoin d’une parole qui le lui dît.
Une invitation accompagne cette salutation : Réjouis-toi ! Réjouis-toi, Marie, tu as attiré la faveur de Dieu ! Réjouis-toi, Église, va montrer à toute présence sous le ciel l’éclat de ta lumière (Ba 5, 3) ! Réjouis-toi, toi, disciple du Christ comblé de tant de bienfaits ! Y a-t-il joie plus grande que de se savoir aimé, et aimé de Dieu ?

Quand j’écoute la Parole de Dieu, quand je la médite et la prie, je suis dans l’attitude de Marie. Surpris, étonné, réjoui ! Dès lors, je frémis comme elle d’être à mon tour visité par la Parole. De voir la Parole se chercher en moi. Et moi, me trouver en elle.
Quand l’Église se met à l’écoute de l’Écriture, elle prend, elle aussi, le risque d’être enfantée par la Parole. Sans savoir où cela la conduira. La Parole veut entrer dans ta demeure jusqu’au plus profond de ton être, jusqu’aux articulations de ton existence. La Parole éternelle de Dieu ne désire rien tant que de s’incarner dans ta vie comme elle prend chair en Marie. Et quand cette Parole prend corps en toi, elle ne viole en rien ta liberté. Elle scelle une alliance et l’ouvre comme une promesse : Bonheur pour celle qui a cru que se réaliserait ce qui lui a été dit de la part du Seigneur !

La vie de Marie tournée vers son Seigneur ne s’arrête pas à l’annonciation. Elle ne va pas s’arrêter au moment où elle commence ! Ce serait un peu comme si notre vie de foi s’arrêtait à la fin de cette messe ! Il faut encore que le Christ grandisse en Marie. Il faut qu’il grandisse en toi. Qu’il m’arrive selon ce que tu dis, avait répondu Marie. Elle a dit oui.
Que faire de ce brûlant secret ? Marie ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive. L’ange avait évoqué sa cousine Élisabeth. Aussi, Marie part en hâte. Elle n’est pas pressée mais elle ne se laisse pas prendre par le temps, elle ne se laisse pas emporter par les événements troublants du monde. En son temps, c’était l’invasion de son pays par les Romains. Aujourd’hui, une pandémie mondiale. « Les lents calculs sont étrangers à la grâce de l’Esprit Saint » écrivait saint Ambroise (Expos. Evang. Sec. Lucam, II, 19). Marie porte en elle un palpitant secret qui ne pourra le rester longtemps. C’est le secret de Dieu. Va-t-elle dire quelque chose à Élisabeth ? Peut-elle le dire ? Comment le dire ? Comment s’y prendre ? Faut-il le cacher ? Le taire ? Le crier ? Tout en elle déborde d’enthousiasme et d’inquiétude. Sa joie fait bondir le ventre d’Élisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et ce que Marie ne sait pas, c’est le lien entre cet enfant qu’elle porte et l’enfant que sa cousine porte. Ça lui serait plus facile de s’exprimer si elle connaissait ce lien. Or, sur la dépendance mutuelle de ces deux petits-cousins, Jean-Baptiste et Jésus, elle n’a pas eu de révélation. Elle sait simplement qu’il y a un lien puisque l’ange lui avait aussi annoncé comme bonne nouvelle la venue d’un fils chez sa vieille parente à bout de souffle. Marie salue Élisabeth et Élisabeth fait chanter Marie. Pas d’annonciation sans visitation !

Notre foi prend son essor dans la rencontre de l’autre. Certains pensent que c’est parce qu’il nous faut enseigner aux autres ce que l’on a appris. Mais non ! Le Christ ne pourra jamais prendre corps en moi en dehors de la rencontre de l’autre, celui-là même qu’il me donne comme compagnon de route. Lui aussi en avait rejoint deux sur le chemin d’Emmaüs. Aller vers l’autre et aller vers Dieu, c’est un tout : il y faut la même gratuité. Certains voudraient un Christ purement spirituel, sans chair ni croix. Dans une niche. Auréolé de toutes parts. Mais l’Évangile invite à courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui suscite l’étonnement, avec sa souffrance et ses demandes, avec sa joie contagieuse et sa profonde plénitude dans un constant corps à corps. Pas d’incarnation sans visitation.

Il en est ainsi de l’Église qui porte en elle une Bonne Nouvelle. L’Église ? C’est toi, c’est moi, c’est lui, c’est nous. Nous venons un peu comme Marie chez Élisabeth. Pour rendre service. Pour partager les mots inouïs de Dieu. Pour nous mettre à l’écoute de l’autre qui appelle et à qui nul ne répond.

Bénie parmi les femmes ! Béni ce que ton ventre porte ! Comment se fait-il que la mère de mon seigneur vienne jusqu’à moi ? La voici, la parole qui ouvre les vannes de la vie ! La voici, la joie bondissante de l’Évangile ! La voici, la première exultation du Magnificat ! Notre Église ne me dit pas et ne sait pas quel est le lien exact entre l’Évangile que je porte et la Bonne nouvelle qui fait vivre l’autre. L’Église ne me dit pas quel est le lien entre le Christ et ma vie ; le Christ et la vie du monde ; le Christ et l’énigme du mal ; le Christ et l’effroi de la souffrance ; le Christ et la venue de Dieu. Elle m’invite à rencontrer les autres en les appréciant et en les acceptant comme des compagnons, sans résistances intérieures. Et à me laisser guider par eux. Laisse-les parler. Écoute-les. Car quand tu visiteras les préférés du Seigneur, l’abandonné, le laissé-pour-compte, le vieillard qu’on ne visite pas, le migrant, le mendiant, le révolté, le métèque, le Seigneur fera vibrer en toi ce que tu ne peux même pas imaginer. Et ce que l’autre fera vibrer en toi révèlera tout autant la densité de la Parole de Dieu. Tu rejoindras l’autre et tu te laisseras reconnaître par lui. Tu accueilleras ce qu’il aura reçu en propre, ses mystères de vie joyeux, douloureux, glorieux ou lumineux pour entretenir avec lui le goût de Dieu. Tu découvriras que ton Dieu est inexistant au-delà de l’homme qui connaît la faim, l’exil, la nudité, la maladie, l’incarcération, ces plaies de l’homme qu’il a faites siennes. Et au droit à la différence que tu invoqueras en le brandissant avec panache, tu défendras le droit à la communion qui reste encore et toujours à construire.

Si tu situes à ce niveau-là ta rencontre avec l’autre (pas seulement l’ami, mais l’étranger, l’inconnu, le paria, l’ennemi), dans une attention et une volonté de le rejoindre, et aussi dans un besoin de ce qu’il est et de ce qu’il a à te dire, tu élargiras le plan de table de ton eucharistie. Finalement, le Magnificat qu’il t’est donné de chanter, c’est l’eucharistie, le banquet qui t’unit à tes frères et sœurs autour d’une même table. Pas d’eucharistie qui ne s’accomplisse dans la rencontre.

Le Seigneur veut inventer du nouveau en toi, avec toi, autour de toi. Donne-lui-en la possibilité. Oui, je crois qu’il n’y a de communauté possible que là où il a de la disponibilité à la contemplation des merveilles de Dieu en chacun. Comme Marie, laisse-toi posséder par la Parole de Dieu, incarne-la par ta vie et tu seras transfiguré. Telle est ton assomption.

La Tour-du-Pin, samedi 15 août 2020
(Fête de l’Assomption)
Père Sylvain Gasser, aa