La fête que nous célébrons aujourd’hui s’appelait traditionnellement «la Fête-Dieu». On mettait alors l’accent sur la proclamation extérieure de notre foi: avec des processions olennelles dans les rues, des ostensoirs dorés, des baldaquins somptueux, etc. Depuis Vatican II, cette fête est appelée «la Solennité du Corps et du Sang du Christ». C’est un changement significatif. Au lieu de mettre l’accent sur la proclamation extérieure de notre catholicisme, on insiste sur deux aspects essentiels du sacrement de l’Eucharistie : le mémorial et la communion.
L’eucharistie, c’est d’abord un mémorial, c’est la fête du souvenir : «Faites ceci en mémoire de moi». La première lecture d’aujourd’hui tirée du Deutéronome commence bien par ces mots : «Souviens-toi…». Ce texte rappelle que Dieu a accompagné son peuple dans le désert, l’a abreuvé de l’eau du rocher, et l’a rassasié d’un pain inconnu qu’ils ont nommé «la manne».
Lorsque le Deutéronome a été rédigé, les Hébreux avaient depuis longtemps quitté le désert et s’étaient établis en Palestine. Ils risquaient donc d’oublier tout ce que Dieu avait fait pour eux. C’est pourquoi, l’auteur du Deutéronome rappelle au peuple : «Souviens-toi que Dieu t’a libéré de ton esclavage d’Égypte. Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu t’a fait parcourir pendant quarante ans dans le désert.» Ce peuple qui était errant à travers le désert, une fois en Palestine, devenu sédentaire et prospère, peut désormais profiter de sa richesse. Mais il risque d’oublier Dieu qui l’a libéré. Quand tout va bien, quand la prospérité fait partie de la vie, quand la santé est excellente, on devient facilement auto-suffisant et on a l’impression de n’avoir plus besoin de Dieu. Il est difficile de se souvenir de Dieu dans une période de bien-être! Il semble qu’à mesure que les gens deviennent prospères et qu’ils n’ont pas à faire face à des problèmes sérieux, leur mémoire s’appauvrit.
Les textes d’aujourd’hui nous rappellent qu’un regard sur notre passé nous aide à reconnaître la présence de Dieu dans nos vies et nous permet d’envisager l’avenir avec confiance. Il n’y a pas d’venir sans souvenir. La mémoire d’un peuple, c’est un peu comme les racines d’un arbre. L’arbre vit grâce à elles, il leur doit sa subsistance et sa croissance. Les fleurs, les fruits et les feuilles peuvent tomber chaque année, mais les racines restent. L’avenir de l’arbre est dans ses racines. Autant l’avenir d’un peuple, d’une nation est dans ses racines. La présence d’un clocher dans chaque village nous rappelle constamment que les racines de la France et de l’Europe en général sont chrétiennes. L’ignorer c’est saper les fondations de toute une
civilisation. Les paroles du pape Jean-Paul II retentissent encore à nos oreilles : « …France, souviens-toi de ton baptême, de l’Alliance que Dieu n’a jamais reniée! » (Homélie de la Messe de Béatification du Père Chevrier – samedi 4 octobre 1986).
Les eucharisties que nous célébrons n’ont pas à être des performances spectaculaires, mais elles doivent activer le souvenir de ce que nous sommes. Elles sont là pour nous rappeler ce que Dieu a fait pour nous, lui qui nous accompagne, dans les jours heureux comme dans les jours plus difficiles : «Souvenez-vous… Faites ceci en mémoire de moi.» La fête d’aujourd’hui est donc la fête du souvenir.
Elle est aussi la fête de la communion, de l’unité. Comme le dit S. Paul dans la deuxième lecture : «Nous ne formons qu’un seul corps, car tous nous avons part à ce pain unique.» La fête du Corps et du Sang du Christ nous invite à renouveler notre intérêt pour la célébration communautaire du Jour du Seigneur.
Nous oublions souvent l’extraordinaire capacité de réconciliation de l’eucharistie. À la fin du sermon sur la montagne Jésus disait : «Si tu viens offrir ton offrande à l’autel et que tu te souviens alors que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis revient présenter ton offrande au Seigneur.» (Mt 5, 23-24)
L’eucharistie reste, à travers les siècles, le symbole de l’unité dans la diversité. Ensemble, à travers nos diversités idéologiques ou culturelles, nous formons le corps du Christ. S. Augustin, en parlant de l’eucharistie, s’exclamait : «O mysterium unitatis, o vinculum caritatis»… O mystère de l’unité, o lien de la charité! Lorsque nous quittons l’église, à la fin de l’eucharistie, nous sommes invités à retourner dans nos familles, au travail, aux loisirs, pour construire un monde de paix, de fraternité et de partage.
Si nous partageons la vie du Christ, notre vie aura un goût d’éternité.
Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.
Père Jean-Paul
14 juin 2020