C’est lorsque quelqu’un meurt qu’on reconnaît vraiment tout ce qu’il a été pour nous. C’est comme le centurion romain au pied de la croix de Jésus qui s’exclame : « Cet homme était vraiment le fils de Dieu ! » (Marc 15,39). En lisant les différents témoignages des paroissiens dans le livre des condoléances et sur facebook, j’ai compris que le père Guillaud, dans sa simplicité, était une légende dans ce milieu. Or, lorsqu’un défunt est déjà entré tout vivant dans la légende, on peut être tenté de lui faire un panégyrique, un éloge aussi coloré que sa personnalité et oublier les règles de l’homilétique. C’est pourquoi je voudrais  focaliser notre méditation sur l’éclairage que la parole de Dieu porte sur la vie et la personne du père Guillaud et sur la nôtre.

La route de Jérusalem à Emmaüs, qu’avaient empruntée Cléophas et son compagnon dans l’après-midi de Pâques, est exemplaire pour chacun de nous. En fait, on a l’habitude de comparer notre existence à une route, un cheminement. Une route qui commence à la naissance et qui se termine, pour certains, à la mort. Mais pour nous chrétiens, cette route ne se termine pas à la mort, elle mène vers Pâques. Si elle ne se terminait à la mort, notre vie serait une impasse. Vivre le deuil ou faire l’expérience de la mort dans la perspective de l’espérance et de la foi en la vie éternelle est une réalité complètement différente que de le vivre dans une perspective où la mort serait le terminus de l’existence humaine. La première lecture que nous avons entendue, tirée du livre de la Sagesse, un livre de l’Ancien Testament (donc d’une époque où la Résurrection du Christ n’a pas encore illuminé notre histoire) témoigne déjà de cette foi : « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable … La vie des justes est dans la main de Dieu … Celui qui ne réfléchit pas s’est imaginé qu’ils étaient morts… Mais par leur espérance, ils avaient déjà l’immortalité… ».

Mais attention, la foi et l’espérance, même pour nous chrétiens, ne dissipent tous nos doutes et toutes nos interrogations. Mais elles les éclairent. C’est le cas de ces disciples d’Emmaüs sur leur route où ils traînent les pieds, tout malheureux qu’ils sont, eux qui ont mis toute leur espérance en un homme et qui voient leur espérance déçue ! Leur espérance avait un nom et un visage : Jésus, ce grand prophète qui, selon leurs attentes, allait libérer le peuple juif de la domination romaine. Et voilà qu’il est mort. Ils sont déçus, littéralement paumés.

Mais ils nous ressemblent fort bien ces deux gars ! En effet, qui d’entre nous n’a pas son lot de peines, de déceptions, de doutes ! On espérait peut-être une vie meilleure, plus de prospérité dans ses affaires, plus de stabilité dans sa famille, un monde nouveau, un monde plus juste, plus fraternel, un monde de paix. Et on constate que ça ne change pas vite ! Ca n’avance pas. Nous portons toutes ces déceptions sur notre route d’Emmaüs, sur notre route humaine.

Et c’est là précisément que Jésus vient à notre rencontre, comme ce compagnon mystérieux des disciples d’Emmaüs, et répond à nos questions. Il nous répond de trois manières.

Premièrement, par les Écritures. Jésus n’a pas raconté la Bible aux deux disciples. Ce n’était pas nécessaire. Ils savaient. Ils avaient été au catéchisme. Il les a simplement éclairés, leur a ouvert les yeux à l’intelligence des Ecritures. Il leur a rappelé par exemple la prophétie d’Isaïe sur Serviteur souffrant ! Et voilà que, petit à petit, l’Ecriture commence à réchauffer leurs cœurs engourdis… L’Écriture peut aussi nous réchauffer notre cœur, en ce sens qu’elle nous dit : ce que tu vis, c’est un passage, une mutation, ce n’est pas la fin de tout. En l’écoutant, Cléophas et son camarade ont déjà le cœur tout brûlant, alors qu’ils n’ont pas encore reconnu Jésus. C’est pourquoi, lorsqu’ils arrivent à destination, alors que Jésus fait semblant de poursuivre sa route, ils le supplient de demeurer avec eux. Ils l’invitent à rentrer dans leur auberge.

Oui, l’auberge d’Emmaüs : C’est la deuxième manière dont Jésus répond aux angoisses ces deux compagnons. Jésus entre dans leur auberge. Ils se croyaient arrivés, ils allaient pouvoir manger, puis se coucher. Mais ce n’est qu’une halte sur la route. Ils partagent leur repas avec cet hôte inconnu, et à la fraction du pain (symbole de l’Eucharistie), leurs yeux s’ouvrirent, ils reconnurent Jésus. Alors, plus rien ne peut les retenir, ils se lèvent et retournent à Jérusalem.

Chers frères et sœurs, dans notre vie, il y a ces haltes, très fréquentes : chaque dimanche. Après avoir rencontré Jésus, après l’avoir reçu dans notre vie, eh bien ! on ne va pas s’endormir là, on ne va pas aller se coucher. On repart. Oui, la route de Jérusalem à Emmaüs, ce n’est pas un aller simple. C’est un aller et retour. Un retour vers les frères. Pas seulement les onze, mais les onze et leurs compagnons. Voilà, la communauté fraternelle c’est l’autre lieu où Jésus nous rencontre pour apporter une réponse à nos interrogations, à nos doutes, à nos angoisses.

Trois réalités donc : l’Écriture, l’Eucharistie et la Communauté fraternelle. Nous touchons là ce qui était au centre de la vie du père Guillaud. Il avait sa manière de parler de la Sainte Ecriture, avec des images si expressives, avec l’humour qui le caractérisait et une telle simplicité qu’on avait l’impression que Jésus était là, juste à côté. Il était aussi attaché à l’Eucharistie dont il avait fait le centre de sa vie, à tel point que son vœu le plus cher était de mourir en célébrant l’Eucharistie. Enfin, qui oubliera l’empathie et l’attachement à la communion fraternelle de ce pasteur qui invitait toujours ses ouilles à aimer « sans masque » (même si l’expression n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui !) A la messe, il manifestait cette communion fraternelle, en invitant tout le monde à se tenir main dans la main pendant la prière du «Notre Père ».

Puisse le Seigneur qu’il a révélé dans les Ecritures, rendu présent dans l’Eucharistie et manifesté dans la communion fraternelle, accueillir son Serviteur.

Père Jean-Paul