Voilà ce que m’a transmis ma mère ! Le carême c’est comme un jardin. Il y a deux façons de faire dans un jardin. Il y a ceux qui sont obsédés par les mauvaises herbes. Ils passent leur temps à essayer de les éradiquer. Au bout du compte les meilleurs obtiennent un jardin impeccable – et ils en sont très fiers. Tout est au cordeau, sans une herbe sauvage. Mais il n’y a pas une fleur : ils n’ont pas eu le temps de s’en occuper. Et puis il y a ceux qui sont passionnés de fleurs. Ils passent leur vie à les soigner. Au passage, ils arrachent une mauvaise herbe, bien sûr. Mais ils n’en font pas une affaire : ce qui les intéresse, c’est de faire fleurir les massifs et de faire porter du fruit aux arbres du jardin. Et au bout du compte, il y a tellement de fleurs qu’il n’y a plus de place pour les mauvaises herbes.
J’en ai assez de ces carêmes qui ne servent à rien. Tout y est négatif : on passe la première moitié du carême à détecter son défaut dominant, (comme si on ne le savait pas encore, depuis le temps ?), et l’autre moitié à essayer de l’éradiquer. Peine perdue : nous mourrons tous avec notre défaut dominant ! Les défauts ne diminuent pas avec l’âge, ils augmentent. Heureusement, c’est la même chose pour les qualités. La question est de savoir, si les qualités vont croître plus vite que les défauts, voilà la vraie question… c’est une affaire de tactique et de regard. « Il y a un temps pour arracher et un temps pour planter », dit Qohéleth (Qo 3,2), mais le plus important c’est la récolte ! «C’est moi qui vous ai choisi est établi, dit Jésus, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. » (Jn 15,16).
Je voudrais donc vous proposer un carême dans les fleurs… Oh, bien sûr, il y a un peu de nettoyage à faire ! Il faut le faire de bon cœur, et joyeusement. Mais il faut surtout se rappeler que le but n’est pas d’avoir un jardin bien propre, mais un jardin bien fleuri ! On le voit à l’avance, on l’imagine, on en rêve. Il faut se lancer dans le carême les yeux et le cœur fixé sur l’alléluia Pascal : comment vais-je le chanter cette année ? Ce sera fonction de la mise en œuvre des consignes de Jésus : jeûner, prier, faire l’aumône.
Jeûner, c’est tailler. Pourquoi taille-t-on un rosier ? Pour trois raisons : la taille stimule et ravigote ; elle domestique la plante et lui donne une jolie forme ; et enfin elle lui garantit une bonne santé en lui donnant de l’air et de la lumière. Il faut y aller généreusement avec les plus forts, et tout doucement avec les plus fragiles.
Prier, c’est soigner, nourrir la terre, donner de l’engrais, mettre un tuteur à ce rosier encore fragile, accrocher à un fil la branche indisciplinée de ce rosier grimpant… il faut y passer du temps. Une heure le dimanche ne suffit pas : il faut aller au jardin dès qu’on a un moment. Un peu tous les jours : le jardinier passionné voudrait y passer sa vie !
Mais surtout, surtout, il faut de la gratuité, de la générosité. Ça, c’est l’aumône : on donne des fleurs et des fruits à tout le monde, largement, sans compter. Chez ma mère, il y avait toujours un bouquet dans la chambre même quand on ne venait que pour une nuit. Même en hiver. Et s’il n’y a plus de fleurs, il y a toujours un sourire à donner.
Au travail, donc ! Quels sont les fleurs que je vais cultiver pendant ce carême ? Quels sont les qualités, les talents que Dieu m’a donnés et dont il attend de beaux fruits ? Pour ce qui est de la taille, à chacun de voir : on a l’embarra du choix, dans ses vies trop encombrées. La prière, l’aumône ? La paroisse à un large choix de propositions pour ceux qui se demandent où et quoi. Des déchets apportés au fumier ? Le prêtre est là et vous attend pour le sacrement de la réconciliation. Quant au sourire, pas besoin de conseils : tout est permis, et même recommandé !
Àh, je sais ! Je m’adresse à des parisiens qui n’ont pas tous la chance d’avoir un jardin… alors j’ai une proposition à vous faire : chaque cellule paroissiale d’évangélisation est un beau jardin. Ils sont tous différents, à chacun son originalité. On n’y est pas trop regardant pour les mauvaises herbes, et on n’y soigne les fleurs avec humilité, grande joie et vraie délicatesse. Et si on allait y faire un petit stage pendant le carême ? Les portes en sont grandes ouvertes et je vous le promets vous ne le regretterez pas !
De tout cœur, je vous souhaite un beau et saint carême, au jardin ! »
Père François Potez, curé