En écoutant, dimanche après dimanche, le Christ égrener ces petites histoires, je me dis qu’il aurait fait un excellent instituteur. Les paraboles, c’est le b.a.-ba de la Parole : des mots simples, des récits empruntés à la vie quotidienne, des formules fortes pour raconter l’étonnante venue du royaume des cieux parmi nous. Chaque image veut en signifier la valeur. Ce qui porte du fruit, pour les paraboles du semeur et du bon grain ; ce qui a du prix, pour les paraboles du trésor caché ou de la perle précieuse. Ce qui intrigue, dans ces analogies conjointes du trésor et de la perle, c’est que dans la première, le royaume est « semblable au trésor caché dans un champ » ; et dans la seconde, le royaume est « semblable à un marchand qui cherche de belles perles ». Le royaume n’est donc pas seulement l’objet précieux recherché, mais aussi son chercheur. Il n’est pas seulement l’objet, mais aussi le sujet de la quête. Que devons-nous être pour être liés à ce lieu des cieux ? Le trésor cherché par Dieu ? Ou les chercheurs du trésor de Dieu ? Nous sommes invités à être les deux à la fois : les désirés de Dieu et les désirants Dieu.
Le royaume est une soif, un désir, une passion, une perle de grand prix. Je suis cette perle que le royaume désire, et je désire que mon chercheur me trouve et me révèle ainsi la valeur. Mon trésor est le regard qu’il pose sur moi, qui me donne l’éclat, la joie d’être ce que je suis. Ne nous est-il pas révélé, dans nos vies, de vivre ces instants uniques où ces regards en quête convergent l’un vers l’autre, où nous voyons Dieu nous voir et où Dieu nous regarde le regarder ? Ces moments sont précieux comme une perle. Je t’aime. Tu m’aimes. Nous nous aimons. Regard d’amour d’un père, présence aimante d’une mère, pur silence des amants, joie élancée des amis, tout ce qui nous a fait grandir en humanité depuis le jour de notre naissance.
L’Évangile est marqué du sceau de cette quête. Un négociant, un berger, une femme, si soucieux de leur précieux bien sont capables de tout abandonner pour que rien de ce trésor de vie ne soit perdu. Que nous révèlent ces personnages ? Que pour récupérer ce trésor, il faut marcher. Beaucoup. Longtemps. Comme Jésus qui ne cesse de marcher pour que les hommes le suivent, et ainsi puissent s’unir, s’asseoir à la même table du banquet, partager la même joie des retrouvailles. J’étais perdu. Tu m’as sauvé. Je gisais dans le fossé. Tu m’as relevé. Je me perdais dans des abîmes de mort. Tu m’as redonné le goût de la vie. La brebis perdue a erré sans doute par bien des détours. Perdue, elle a connu la peur du loup et la crainte de la mort. Jusqu’au jour où son berger protecteur la retrouve. La joie de la brebis est à son comble. Elle ne savait pas à quel point elle était attendue. Les paraboles sont des histoires de retrouvailles et comme telles, de belles histoires.
Il n’empêche, la venue du royaume ne s’est pas réalisée du temps des disciples et son accomplissement se fait toujours attendre. Il faut se rendre à l’évidence : le royaume semble moins proche que Jésus ne l’annonce. Risquons une question. Et si Jésus avait décidé de partager à son tour notre impatiente espérance à voir naître un autre monde, forcément meilleur ? En plein cœur d’une épidémie qui malmène notre santé ou brise notre moral, quelle parabole le Christ nous raconterait-il ? Il nous inviterait à travailler au partage et à la fraternité. Au milieu de nos vies simples, nous trouvons le véritable visage de Dieu et notre vrai visage, en transfigurant la vie de notre prochain, en l’aidant à se relever, c’est-à-dire en lui faisant connaître son vrai visage, en changeant son masque rouge de douleur, son masque gris à force de dépression, son masque noir de mort-vivant, en visage pacifié par une lumière que nous n’avions jamais discernée. C’est l’échange que nous avons à vivre, les uns au profit des autres.
Si l’annonce du royaume reste bien une promesse, elle est aussi un avertissement à ne pas désespérer de nous-mêmes et de nos semblables. Vous avez envie de tout abandonner, de baisser les bras, de perdre toute espérance ? Retournez-vous : le royaume vient. Relevez-vous : il a besoin de vos bras. Redressez la tête : il réclame votre foi. Le temps du royaume n’est pas le temps où le royaume serait là mais celui où il est attendu.
Voyez-vous, l’urgence d’une telle annonce oblige à nous retrousser les manches. On ne peut pas, on ne peut plus se contenter d’entendre tout, de voir tout, d’accepter tout sans réagir ni discerner. Le monde nous endort par ses discours et ses mirages. Le monde nous ensommeille, l’Évangile nous réveille. Il est urgent de passer de l’indifférence à un intérêt réel pour l’autre, plus petit que soi et premier à servir. Le mouvement que lance Jésus n’est pas un coup d’État mais un coup d’éclat. Un coup d’éclat intérieur. C’est pour cela qu’on ne le voit pas venir, ce « foutu royaume » comme le disait un de mes confrères. Du moins, pas tout de suite. Car le royaume, c’est petit, tout petit. Jésus le compare à de minuscules et microscopiques choses : une graine de moutarde, du levain, une perle. « Que ton règne vienne » : souhaiter la venue du royaume exige que nous renoncions à toute forme de puissance, de gloire, de richesse qui encombre notre regard. Dans le train-train dominical d’un monde sans dimanche, c’est redonner place à la vie de Dieu en lui-même, en nous-mêmes et en nos frères et sœurs. C’est s’intéresser à ce Dieu qui passe en l’homme et que le monde ne voit pas. De cet Évangile, prenons de la graine, et à son écoute, grandissons !
Dolomieu, dimanche 26 juillet 2020
(17e dimanche du temps ordinaire, année A)
Père Sylvain Gasser